L’histoire de la capitale de la Moldavie, Chisinau, est intense et pleine de soubresauts. Il est donc essentiel d’aborder sa scène musicale dans son contexte. Bienvenue dans le clubbing post-sovietique. Le “New East”.
Le pays est très jeune (25 ans depuis l’indépendance, l’âge de Kev Adams !) et a traversé des ouragans. Il a vu des guerres, de nouvelles idéologies, de nouveaux systèmes politiques et par la même de nouvelles influences culturelles. La ville a connu plusieurs empires, a été gravement endommagée pendant la Seconde guerre mondiale, a connu la répression stalinienne, été remodelée par les soviétiques et a toujours survécu. D’apparence, elle ressemble à une ville ex-communiste d’Europe orientale classique, bien que ses influences roumaines, russes et ottomanes sont visibles.
Chisinau est la seule véritable ville de Moldavie, à la croisée des chemins entre la Roumanie et l’Ukraine, entre l’Ouest et l’Est , cet univers est donc confus et parfois chaotique, mais il y a beaucoup de charme et d’énergie dans ce joyeux désordre.
Tout comme à Berlin, la musique électronique et le monde de la nuit ont été étroitement liés aux fluctuations sociales. Tout comme à Berlin-Est, les vibrations électroniques remplacèrent un jour les statues de Lénine.
Quand la scène électronique que nous connaissons aujourd’hui est arrivée en Moldavie après la chute de l’URSS, au début des années 90, les fêtes en club n’étaient pas seulement une célébration de l’hédonisme. Cette époque fut marquée par une guerre civile épouvantable avec le territoire séparatiste de Transnistrie et par une crise économique sans précèdent. Une monnaie qui ne vaut plus rien et un nouvel État en vrac, à genoux. Pour la jeunesse, sortir dans les rares clubs du centre était alors une forme de rébellion contre les années de plomb du communisme incarnées par leurs parents, une ouverture à l’Ouest et une fuite bien compréhensible de la réalité morose.
De nombreuses soirées totalement folles et décadentes furent alors organisées dans des entrepôts et des usines désaffectées. La Rave était naturelle, non choisie. Elle ne répondait à aucun suivisme esthétique et palliait à l’absence d’établissements dans cette Moldavie post-soviétique rentrée brutalement dans le capitalisme.
La différence avec Berlin ? Aucun artiste occidental ne vint à Chisinau pour chercher l’inspiration. Aucune publicité, aucune image « pop » sensuelle, une absence totale de visibilité en Europe. Chisinau, même après la chute du Mur, resta ainsi derrière un rideau de fer culturel. Elle ne fut jamais à la mode. La statut «cool et undergroud » resta définitivement accaparé par les usines abandonnées et sonorisées de Berlin. La jeunesse moldave découvrit avec enthousiasme les nouveaux DJs de Détroit et Manchester dans l’indifférence générale de ces dernières. Chisinau, une cité trop lointaine, trop petite.
A l’origine, la musique techno était perçue par ses fondateurs comme la cristallisation d’une certaine angoisse du futur post-industriel et d’un rempart nocturne à l’insécurité grandissante qu’elle pouvait engendrer. La Moldavie avec ses 50 ans de communisme étatique en fut logiquement réceptive.
Aujourd’hui encore, on retrouve cet état d’esprit. De très nombreux clubs furent construits ces 15 dernières années. Pas toujours légaux, ils continuent de pousser comme des champignons au milieu des blocks d’immeuble gris. La jeunesse moldave sort beaucoup. Une partie d’elle continue de forger son identité au sein de la scène électronique de Chisinau qu’elle n’hésite pas à mélanger à l’occasion avec son propre folklore. Ces enfants nés après le communisme, progressistes dans un pays encore très conservateur, se sont créés un espace de liberté, ignorant les problèmes récurrents de corruption et de déclassement. Invitant régulièrement des artistes de Kiev et Bucarest, ils forment ce « new east » fascinant et en perpétuelle évolution.
Robin Koskas